Une viande entièrement produite en laboratoire. Un produit qui, d’ici dix à vingt ans, sera peut-être vendu dans toutes les épiceries. Élaborée dans un laboratoire de Maastricht aux Pays-Bas, la viande de synthèse est pensée comme une alternative à une consommation de viande mondiale qui ne cesse de s’accroître.
Octobre 2015 – La Quête
Canada
De la viande de synthèse au menu de demain
Une viande entièrement produite en laboratoire. Un produit qui, d’ici dix à vingt ans, sera peut-être vendu dans toutes les épiceries. Élaborée dans un laboratoire de Maastricht aux Pays-Bas, la viande de synthèse est pensée comme une alternative à une consommation de viande mondiale qui ne cesse de s’accroître.
En 2014, environ 302 272 kilotonnes de viande ont été consommées sur Terre. Selon le rapport « Perspectives agricoles 2015-2024 » de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ce chiffre est en hausse. Surtout dans les pays en développement, où les naissances sont plus importantes et le vieillissement moins général que dans les pays développés.
Gale West, enseignante-chercheuse à l’Université Laval, notamment spécialisée sur les questions de consommation, donne une autre raison à cet attrait pour la viande : « Dans ces pays en voie de développement, la consommation de viande s’accroît au fur et à mesure que le niveau de vie augmente. Et même si les consommateurs de ces pays réduisaient leur consommation, il y aurait toujours une demande très élevée ». Cela alarme les chercheurs, car si les prévisions se réalisent, plus de neuf milliards d’êtres humains peupleront la Terre d’ici 2050.
Dans un rapport publié en 2012 par le Stockholm International Water Institute (SIWI), des changements dans la production alimentaire sont nécessaires. Et cela passe par l’élevage qui épuise la Terre. En effet, 70% des terres agricoles de la planète sont consacrées à l’élevage du bétail et à la culture de sa nourriture : il faut ainsi 12000 litres d’eau pour générer les douze kilos de céréales nécessaires à la production d’un kilo de bœuf. L’Institut préconise de réduire notre consommation de protéines d’origine animale d’au moins 15% d’ici l’année 2050, faute de quoi, il n’y aura plus assez d’eau pour tout le monde.
Frankensteack
Selon Gale West, cela ne suffira pas à éviter l’épuisement de la planète. L’enseignante-chercheuse estime qu’il faut combiner cet effort par la consommation de produits alternatifs. Parmi eux, la viande in vitro, une viande entièrement cultivée en laboratoire. Les recherches débutent en 2008 à l’Université de Maastricht aux Pays-Bas. Cinq ans plus tard, Mark Post et son équipe dévoilent ce que les plus sceptiques appellent le Frankensteack.
N’ayant jamais fait partie d’un animal, la viande synthétique est le résultat de la culture de cellules souches qui ont été mises sous tension et étirées grâce à des chocs électriques, afin de former un fac-similé de muscle. Un mode de fabrication anormal pour Gale West : « Dans ce processus, beaucoup de choses sont assez étranges et, chaque année, quand je l’aborde dans mon cours “consommation alimentaire”, les étudiants sont dégoûtés », rit-elle.
Prévenant, Mark Post envisage deux obstacles à la réussite de sa création : le manque de financement et le rejet des consommateurs. Car la production à grande échelle de la viande in vitro est coûteuse, du fait que l’étirement de cellules demande beaucoup d’énergie et de substances telles que des hormones de synthèse ou des antibiotiques. Le laboratoire de Mark Post assure que le coût de production pourrait passer de 253 000 euros à 21 euros, soit moins de 30 dollars canadiens.
“Ce n’est pas de la viande”
La seconde crainte de Mark Post n’est pas monnayable et demeure du ressort des consommateurs. Pour l’instant, l’opinion publique rejette l’idée d’une viande artificielle. En 2014, une étude du Pew Research Center dévoile que 80% des Américains sont très peu enclins à consommer de la viande synthétique.
Selon Gale West, c’est d’abord une question de dénomination : « Ce n’est pas de la viande, ce n’est pas non plus végétarien. Il faut trouver un autre mot, car je suis plutôt sûre que si [les chercheurs] persistent à dire que c’est de la viande, cela ne va pas marcher ». Dans un entretien accordé au quotidien britannique The Guardian, Mark Post se défend sur la sémantique en argumentant que l’on ne peut qu’appeler viande ce qui est, au vue d’un microscope, similaire à de la viande in vivo.
À une ère où la tendance est à la consommation de produits biologiques et naturels, la viande in vitro fait peur. Si le consommateur préfère des produits végétariens, dont l’industrie est en expansion, rien ne remplace la viande. Conseiller en production animale et bovine au sein de la Mapaq Montérégie-Est, Gaétan Bonneau constate que même si « les substituts à partir de soya ont une longueur d’avance [sur la viande intro], les consommateurs font encore le choix de produits animaux ». Pour Gale West, il faudra au moins une génération pour que les consommateurs acceptent un produit si artificiel.
Article initialement dans le mensuel La Quête, à Québec.