Au Canada, le climat est plus que jamais au cœur des débats publics et politiques. Tous les candidats aux élections fédérales canadiennes ont inclus un plan environnemental dans leur programme. Cette prise de conscience intervient en réponse à l’urgence climatique. Pour autant, le développement économique et les emplois restent les enjeux décisifs.
Ils étaient 500 000 à marcher dans les rues de Montréal le 27 septembre dernier. C’est le plus gros rassemblement de l’histoire du Québec. Des grèves ont eu lieu à travers tout le pays dans 97 villes différentes. Au-delà des étudiants, la mobilisation a réuni les syndicats, les scientifiques et les autochtones, mais aussi les politiques en campagne électorale. Elizabeth May, candidate du Parti vert, Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Yves-François Blanchet du Bloc Québécois et le Premier ministre libéral sortant Justin Trudeau se sont joints à la grève de Montréal.
Tous sauf Maxime Bernier et Andrew Scheer. Le premier, chef du Parti populaire, estime que le CO2 est de la « nourriture pour les plantes ». Le second est le candidat du Parti conservateur et le concurrent de Justin Trudeau dans les sondages. Loin d’être climatosceptique, M. Scheer veut répondre à l’urgence climatique, mais ne propose pas de plan concret pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C.
Si tous les partis intègrent l’environnement dans leurs discours, les programmes peinent à convaincre. « Des choses intéressantes sont sur la table, mais suffiront-elles à atteindre nos objectifs ? », se demande Maya Jegen, docteure spécialiste des politiques énergétiques à l’Université du Québec à Montréal. Déception
En témoigne le bilan de Justin Trudeau, qui avait un discours environnementaliste en 2015. À l’aube de la COP 21, alors que le climat devenait un enjeu au Canada, il promettait la réduction de 30 % des émissions des gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 par rapport à 2005. Elles ont baissé de 2 % depuis.
Autre déception, l’achat de l’oléoduc Trans Mountain au printemps 2019. Le pipeline reliera l’Alberta au Pacifique pour désenclaver la province en difficulté depuis la chute du prix du pétrole. Un geste insuffisant pour les Albertains et une traîtrise pour les régions moins pétrolières.
Cette année, Justin Trudeau s’est entouré de Steven Guilbeault, cofondateur d’Équiterre, un organisme environnemental québécois. « Le candidat-vedette est pressenti comme Ministre de l’Environnement, ce qui rappelle Nicolas Hulot en France », détaille Bernard Schepper, chercheur à l’Institut de recherches et d’informations socioéconomiques (IRIS). Fort de cette caution militante, M. Trudeau vise la carboneutralité en 2030. « Cela ne veut pas dire que l’on va réduire les émissions, mais qu’elles vont être compensées en plantant des arbres, par exemple. », explique M. Schepper.
Pour atteindre ses objectifs, Ottawa a instauré une taxe carbone à toutes les provinces qui n’en possédaient pas déjà. La tonne de CO2 coûte aujourd’hui 20 $. « Elle devra être au moins doublé pour être efficace », selon Maya Jegen. Pétrole « de chez nous »
Si la majorité des Canadiens semble pour la taxe carbone, l’électorat conservateur et la population albertaine y sont majoritairement opposés, selon les données de la Boussole électorale. Pour Andrew Scheer, cette taxe inefficace est un poids sur les citoyens et il a promis de l’abolir s’il est élu.
Une idée saluée par ses électeurs et les Premiers ministres ontarien et albertain. À l’instar de Stephen Harper, M. Scheer veut plutôt encourager le privé à développer la filière des hydrocarbures et des énergies vertes canadiennes, comme tente déjà de le faire l’Alberta. Son projet de corridor énergétique permettrait de cesser les importations de bitume américain. Le pétrole « de chez nous » pourrait être transporté dans tout le pays et à l’international. S’il était réalisable, ce plan ferait augmenter les émissions de GES de 14,3 % d’ici 2030, selon une analyse de l’économiste Mark Jaccard de l’Université Simon Fraser. Ambivalence
Les autres partis tentent de se positionner entre intérêts économiques et protection de l’environnement. Mais la balance penche rarement du côté du climat. Contrairement à la France, le débat sur le CETA s’est focalisé sur l’avenir des producteurs canadiens face à l’arrivée du marché européen plutôt que sur les impacts environnementaux. Parmi les néo-démocrates, les conservateurs ou les libéraux, aucun chef ne s’est engagé à « interdire tout nouveau projet d’hydrocarbures », selon des informations récoltées par le quotidien indépendant Le Devoir.
Jagmeet Singh promet d’éliminer les subventions aux combustibles fossiles, mais pourrait considérer des projets s’ils respectent les objectifs climatiques et créent des emplois. De son côté, Yves-François Blanchet porte un lourd bilan environnemental. Alors qu’il était ministre de l’Environnement entre 2012 et 2014, Québec a autorisé plusieurs projets polluants controversés comme l’implantation d’une cimenterie ou des forages exploratoires.
Le Parti vert n’est pas moins ambivalent dans son discours, ce qui a valu des critiques à Elizabeth May. D’un côté, les hydrocarbures devraient rester dans le sol et cesser d’être importés, mais le pétrole canadien (conventionnel notamment) pourrait être utilisé. Cœur de l’économie
En 2017, le secteur du gaz et du pétrole étaient responsables de 27 % des émissions, selon l’inventaire canadien des émissions de gaz à effet de serre publié en avril 2019. « C’est difficile pour un chef de parti de dire qu’il veut sortir le pays des hydrocarbures, car ils sont au cœur de l’économie », explique Bertrand Schepper.
A fortiori dans les régions productrices, comme l’Alberta qui fournissait 80 % du bitume canadien en 2017. Les autres étant les Maritimes et les Prairies, où l’électorat conservateur est plus fort.
De l’autre côté, les provinces comme le Québec et la Colombie-Britannique sont généralement reconnus pour être plus verts grâce à leurs ressources. Ils continuent cependant à bénéficier du pétrole et du gaz des régions productrices.
L’énergie est au cœur des tensions interprovinciales, des tensions que la question climatique ne fait qu’aggraver. « Le Canada s’est construit sur une l’exploitation des ressources naturelles », précise Maya Jegen pour justifier la situation. Car ce ne sont pas seulement les hydrocarbures qui sont en jeu. Les mines, les sablières, la foresterie sont aussi des industries très importantes. Population divisée
Plus qu’interprovinciales, les tensions sont aussi intraprovinciales. Selon Bertrand Schepper, la population n’arrive pas à se situer dans la dualité entre écologie et économie. L’attrait pour le développement et les emplois est encore bien ancré, malgré le plein emploi. D’autant plus du fait que ces industries sont généralement implantées dans les régions plus éloignées.
En Abitibi-Témiscamingue au Québec, les mines sont le moteur économique régional, les salaires annuels pouvant atteindre 100 000 $. Parce qu’aucune alternative n’est proposée, les projets d’exploitation des ressources sont encore perçus comme des aubaines de redynamisation.
De même pour le transport, qui est le deuxième secteur le plus polluant. Les grandes distances, les conditions climatiques et l’absence de transports en commun peuvent rendre le 4×4 nécessaire.
« Pour autant la situation évolue », estime le sociologue de l’environnement René Audet. La grève du 27 septembre a mobilisé jusque dans les villes moyennes et plus reculées. Selon un sondage de l’Angus Reid Institute, 70 % de la population sondée estime que les changements climatiques devraient être une priorité pour le prochain gouvernement fédéral. Mobilisations
On retrouve la même mobilisation parmi les Premières Nations, pour qui la question environnementale a toujours été sociale. Ils doivent cependant concilier la défense du territoire et de leurs droits ancestraux avec leurs conditions de vie et leur marginalisation.
« Chaque projet [d’exploitation] est discuté en fonction des impacts humains et environnementaux et n’est pas forcément refusé », détaille Lucien Wabanonik, du Conseil de la Nation Anishnabe de Lac-Simon, en affirmant tout de même que « tout projet est colonisateur ». Le système hydroélectrique actuel est d’ailleurs le résultat d’une entente entre Autochtones et gouvernements provinciaux.
Parallèlement, des petits groupes militants citoyens se forment de plus en plus pour bloquer des projets extractivistes. Des combats relayés jusqu’au fédéral par les organisations environnementales. Parfois des alliances se forment entre allochtones et autochtones, comme c’est le cas en Colombie-Britannique avec Trans Mountain ou au Québec avec Énergie Saguenay, deux projets d’exportation d’hydrocarbures. L’occasion pour les candidats du Parti vert de remporter des sièges au Parlement, à l’instar de leurs homologues européens.
Article initialement publié dans l’édition 1573 de Politis sur le site de Politis